Il me semble important de préciser qu’il s’agit avant tout d’un ressenti d’une étudiante en formation culturelle, celui-ci est partagé ou pas, et invite à la prise de recul et la réflexion.
Lorsque l’outil informatique devient notre interlocuteur principal.
Tels des poulets sans tête, nous voici, des étudiants en première année de master à l’université de Bordeaux Montaigne. Depuis ce deuxième confinement, nous sommes de la volaille, sans âme, ni conscience, courant frénétiquement dans tous les sens. La quantité de travail exigée en master s’est travestie en une suite illogique de tâches à cocher pour valider un semestre. Il ne représente plus la qualité. Oublier l’approfondissement, le débat et la réflexion : ce n’est plus de rigueur.
Aujourd’hui, nous sommes les dommages collatéraux d’un système universitaire reposant sur une pédagogie classique, transmissive et traditionnelle. D’une culture étriquée dans une crise sanitaire et d’une utilisation détournée des outils technologiques, comme notamment, l’outil informatique pour notre télétravail.
Là où cet usage devrait avoir rôle de soutien et d’accompagnement, il tend vers un remplacement de mœurs. Passant du compagnonnage à l’abrutissement du caractère professionnel de l’étudiant en formation. Nous ne sommes plus en formation, l’heure est venue de bombarder les étudiants de dossiers, de partiels, de devoirs, d’apprentissage par cœur, etc. S’ajoute à ça, une crise sanitaire : la Covid. Celle-ci nous permet de prendre du recul sur les conditions de travail des étudiants. Là où la pédagogie archaïque tente vainement de s’adapter à la notion de rendement exigée par la société, elle met en exergue que cela n’est pas compatible. Encore moins, en travaillant à distance. À moins que les études ne soient plus le lieu, ni le moment de vie où il est possible de remettre en question le monde, d’envisager la personne que l’on veut être et de se construire professionnellement ? Cette réflexion, nous ne l’avons plus. La Covid nous a permis de prendre conscience de l’absence de remise en question de pratiques professionnelles de certains enseignants. L’étudiant doit toujours s’adapter, gratter et faire des devoirs, auxquels cas, il risque de ne pas avoir son diplôme.
Être étudiant signifie t-il agir docilement ?
Enfin, qu’en est-il de notre état de santé ? Avec le télétravail et les dossiers qui s’enchaînent et se superposent, les partiels qui se rajoutent, etc. La Covid bouscule le planning et la façon de travailler, il n’est plus possible de se débrancher et de se déconnecter. Toutes les journées se ressemblent : se lever, s’asseoir devant l’ordinateur, taper, taper et encore taper, afin d’être dans les temps. Grignoter et si nous sommes vaillants, prendre le temps de se faire à manger. Faire un exposé qui occupe tout le temps d’un cours, faire semblant d’écouter, car il faut assister au cours et en même temps faire un autre devoir, (nous ne sommes pas les enseignants, ce n’est pas à nous de faire l’intégralité d’un cours) car l’échéance d’un autre partiel se rapproche. Mais, si nous faisons deux cours en un cours, cela nous permet de finir moins tardivement. Finir à 21h semble déjà pas mal.
Rester devant son ordinateur, au moins sept heures par jour, car nous sommes en formation. Il ne faut pas s’arrêter, le rythme doit continuer. Sauf que le déroulement et le rendu n‘est plus le même, les conditions ont changé, mais pas le rythme, si ce n’est pire. S’apercevoir que nous relisons quatre, cinq, six fois le même paragraphe, car plus rien ne s’enregistre. Avoir mal au dos à rester assis devant une interface vide, mais s’en contenter, car il faut faire comme ça et c’est tout. Faire un partiel de quatre heures à distance, prévu dans d’autres conditions, puis s’apercevoir qu’il nécessite plus de quatre heures de travail devant un écran.
S’arranger, s’adapter, se résilier, réaliser que les enseignants sont aussi dépassés que nous et envoient des devoirs le dimanche. Travailler 7 jours sur 7, en ayant perdu l’objectif principal ou la ligne directrice de notre formation : travailler dans la culture.
Parlons-en de la culture. Une culture meurtrie, à l’agonie, qui fait plus de pas en arrière qu’elle n’en a jamais fait. Il est temps de montrer que la culture est vitale et pourtant, au sein même de notre master nous n’y croyons plus. Il n’y a plus le temps. Très peu de considération pendant cette crise sanitaire, peu de mots, peu de regards. Nous sommes dans un monde où l’économie fait rage. Une culture qui meurt. Un monde où ni les être humains, ni la culture, ni le respect à la dignité ne sont considérés. Peut-on parler de dignité lorsque nous sommes à l’agonie ?
Nous sommes des étudiants, en ingénierie culturelle et il est temps que l’université nous respecte : développer des pratiques pédagogiques innovantes, réorganiser et repenser les cours lorsque le distanciel devient un rythme national, avoir des repos, prévoir des calendriers de secours qui laisse le temps aux étudiants, comme aux enseignants, de faire les travaux basculer en contrôle continue, etc.
Tout ça n’a plus de sens, laissez nous tranquille, nous voulons juste apprendre et penser nos actions culturelles de demain. Nous ne voulons pas devenir de nouveaux exécutants dépressifs
Arrêtons de penser quantité, mais qualité. La pédagogie n’est pas une question de quantité, mais de qualité. Il en va de même pour la culture, car pour le moment, il n’est pas possible de faire avec et pour les publics, nous reproduisons un schéma quantitatif qui a déjà gangréné et détruit des milieux professionnels : le secteur hospitalier, le travail social, etc.
Je vous invite à demander ou à tendre l’oreille dans leurs discours, la quantité n’est pas la qualité. Retirez des soignants dans l’équipe et l’infirmier aura le double de patients en charge, voire le triple. Demander aux professionnels du social (éducateurs, assistants sociaux, etc.) de réaliser des projets d’accompagnements ou de vie, avec leurs personnes accompagnées (personne handicapée, âgée, avec troubles psychiatriques, etc.) et vous verrez que remplir des cases et travailler la tête dans le guidon, n’a pas toujours de sens.
J’en viens à nous : ne parlez pas de la culture, ne lui donnez pas de moyens et ne laissez pas le temps à la future génération de professionnels de se construire et nous reproduiront inlassablement les mêmes erreurs qui se sont produites dans d’autres secteurs. Là où l’humain devait être le tronc commun de ces formations, il se révèle n’être qu’un grain de poussière dans un rouage infernal.
Est-ce le monde culturel que l’on veut pour demain ?
Angélique Nezan
Pensée pour mes collègues & Merci pour les relectures L. A. R. M.