Crédit photo : Didier Martin
En 1865, Lewis Carroll laisse à l’humanité et surtout aux enfants son histoire d’Alice au Pays des Merveilles. Initialement écrit pour les adultes, Alice au Pays des Merveilles est devenu avec le temps, et les réécritures de l’œuvre, un récit enfantin qui a été vu et lu par des millions de chérubins. A travers ses personnages merveilleux et son univers coloré, Alice est devenu un classique des spectacles pour enfants.
Christine Le Berre et la Compagnie Hop ! Hop ! Hop ! font donc un pari audacieux de réécrire ce classique avec une scénographie inquiétante à destination du jeune public.
Sans un seul dialogue, ce spectacle de danse entraîne les enfants dans une ambiance, sombre, parfois glauque, et on ne s’étonne pas d’entendre ces enfants qui n’ont pas encore les codes du parfait petit spectateur, manifester leurs peurs.
C’est une autre Alice que nous présente Christine Le Berre. Une Alice qui s’exprime avec son corps à travers Florence Casanave et qui a une relation privilégiée aux objets. En effet, la danseuse est seule sur scène, avec pour seuls compagnons de jeu, le décor et les marionnettes. Cette pièce est véritablement un théâtre de corps et d’objets où Alice est le seul lien avec ces outils, les manipulant à vue. On y retrouve des restes de poupées, des squelettes d’animaux, des animaux empaillés, des textiles usés, etc…
Composée en six tableaux, la pièce repose sur la quête identitaire d’une enfant s’évadant de son quotidien à travers le jeu avec ces objets, et finalement, un jeu avec elle-même. C’est un moment surréaliste, où la musique, composée par Nezumi et Fox, remplace les mots, et est construite sur un mélange entre bruits créés et bruits réels créant ainsi une atmosphère d’inquiétante étrangeté.
C’est également une invitation à la réflexion pour ces enfants. Alice est en proie à des forces, parfois amicales comme avec Pinpin, un lapin qui aide Alice tout au long de la pièce, mais également en face de forces obscures, à travers la dame de cœur, représentée par un sanglier empaillé. La dame de cœur tyrannise la jeune fille et les autres animaux du haut de son château protégé par des gardes effrayants, représentés uniquement par des bras sortant du décor.
C’est donc par un théâtre exigeant que Christine Le Berre s’adresse aux enfants, basé sur ce paradoxe d’une histoire enfantine avec une narration aux antipodes de ce qui leur est proposé habituellement. C’est en ça que cette pièce est intéressante, elle considère que l’enfant est public à part entière qui a des capacités de desceller les messages et les symboles présents dans la pièce. C’est donc un pari risqué mais réussi pour la Compagnie Hop ! Hop ! Hop ! qui parvient à faire entrer des enfants dans un monde particulier qui ne leur est pas familier et surtout à les faire se questionner sur un autre univers. Finalement, le parti pris par Christine Le Berre, illustre bien cette phrase de Lewis Carroll, la véritable mère d’Alice : « L’enfant est à l’aise comme un poisson dans les eaux troubles du paradoxe ».
Article écrit par Florian Davrou