Tout s’enchaîne vite, très vite.
Février 2022, mois de cinéma d’une richesse assez vertigineuse. Et pour dire, pas de « film du mois » cette fois-ci, mais trois. Ils sont respectivement signés par le maître Hong Sang-soo et par deux grandes promesses du cinéma européen : Thierry de Peretti et Alexandre Koberidze.
❤️ : coup de cœur
(*) : film non-vu
FIPRESCI : Fédération Internationale de la presse cinématographique
——————————————
Semaine du 02/02
- ❤️ Introduction (Hong Sang-soo)
Prix du meilleur scénario – Festival de Berlin 2021
Premier grand film du mois (et sans doute celui qui me tient le plus à cœur) : Introduction de Hong Sang-soo (HSS). Difficile d’évoquer mon admiration pour ce film sans évoquer le rapport extrêmement intime que j’entretiens avec la filmographie du réalisateur en question. Cinéaste de cœur, de chevet… Toutes les étiquettes fonctionnent. Prolongement logique et passionnant de son travail depuis 20 ans, Introduction s’envisage aussi comme une très belle porte d’entrée dans son cinéma pour les néophytes (le titre n’y est pas pour rien). 1h06, c’est tout ce qu’il lui faut pour tricoter (à merveille) ce vaste sujet que sont les relations humaines. D’une épure extrême, radical dans son apparente simplicité, HSS creuse encore et toujours ce sillon qui est le sien : lâcheté sentimentale, flottement amoureux, artistes fauché.es en quête de sens, dialogues en surface, beuveries au soju, jeu entre rêve et réalité, zooms et micro-ellipses temporelles… Un style inimitable qui trouve ici une résonnance inédite (et bouleversante) en sondant la jeunesse comme rarement celle-ci aura été sondée. On pense notamment à la mélancolie générationnelle de néo-classiques comme Millennium Mambo ou plus récemment Burning ; c’est dire. Par sa durée ramassée, sa thématique et sa structure à l’os, on retrouve bien dans Introduction ce « quelque chose comme un absolu de cinéma » comme le dit si bien Transfuge dans la bande-annonce. Hong Sang-soo, le boss.
- (*) Arthur Rambo (Laurent Cantet)
Compétition – Festival de San Sebastian 2021
Pas mal d’attente autour du nouveau long-métrage de Laurent Cantet, réalisateur phare français à qui l’on doit notamment la Palme d’Or Entre les Murs et le tout aussi pertinent L’Atelier. Le cinéaste sort ici du cadre scolaire pour graviter autour de ce sujet brûlant et périlleux que représente la violence symbolique des réseaux sociaux. Un sujet casse-gueule, souvent traité de façon lacunaire et/ou binaire. On y suivra Karim D, jeune écrivain engagé au succès annoncé mais à qui son alias « Arthur Rambo » lui jouera des tours lorsque certains de ses tweets seront exhumés. Polar sociétal en vue ?
- (*) H6 (Ye Ye)
Hors-Compétition – Festival de Cannes 2021
Pitch : Le destin de cinq familles se joue à l’hôpital N°6 de Shanghai. A travers leurs histoires croisées se dessine un portrait de la Chine d’aujourd’hui entre culture traditionnelle et modernité. La solidarité, la tendresse et le sens de l’humour permettent aux familles et patients de tenir le cap face aux aléas de la vie.
- (*) Petite Solange (Axelle Ropert)
Compétition – Festival de Locarno 2021
Prix Jean Vigo 2021
Une place en compétition à Locarno, une critique divisée, une remise toute récente du Prix Jean Vigo 2021 (récompensant le « meilleur film » français de l’année, au même titre que le Prix Louis-Delluc)… Il n’en faut pas plus pour susciter ma curiosité autour de Petite Solange, premier film d’Axelle Ropert.
Pitch : Solange a 13 ans, elle est pleine de vie et de curiosité avec quelque chose de spécial : elle est sentimentale à l’excès, et adore ses parents. Mais un jour, elle réalise qu’ils se disputent et commencent à s’éloigner…. l’ombre du divorce se précise. Alors Solange va s’inquiéter, réagir et souffrir. C’est l’histoire d’une jeune ado trop tendre qui voudrait une chose impossible : que l’amour jamais ne s’arrête.
Semaine du 09/02
- ❤️ Enquête sur un scandale d’état
(Thierry de Peretti)
Prix de la meilleure photographie – Festival de San Sebastian 2021
Candidat au film du mois numéro 2, bonjour.
Attention, le nouveau film de Thierry De Peretti n’a RIEN d’un thriller classique comme la bande-annonce pourrait le laisser sous-entendre. Car s’il y a bien une chose qui caractérise le travail du réalisateur corse, c’est bien son côté anti-spectaculaire. Il y fabrique des films denses et vaporeux, structurellement complexes et à la limite de l’intelligible cognitif. Et Enquête sur un scandale d’état respire par tous les pores de la pellicule de ce côté nébuleux et insaisissable de son cinéma (que l’on retrouve notamment dans son flamboyant Une vie violente). Plus la trame scénaristique s’épaissit et plus la mise en scène prend le relais pour combler les interstices ; le format en 4:3 venant comme squizzer l’intrigue pour faire exploser les lignes de fuite. Grand amateur de films asiatiques (notamment de Hou Hsiao-Hsien), De Peretti sait faire miroiter ces influences-ci et ce n’est donc pas par hasard que l’on pense, au visionnage, au voile narratif de ce chef-d’œuvre qu’est, à titre de comparaison, The Assassin.
Aussi naturaliste que mystique, le tout encapsulé dans une virtuosité sans nom, Enquête sur un scandale d’état s’avance d’ores et déjà comme le probable film français de l’année, tant sa rigueur et son audace dépassent hands down une très grande partie de la production hexagonale. Est-ce qu’on ne tiendrait pas là le Miami Vice français ? (sans le kitsch et les gunfights, mince)
- (*) Great Freedom (Sebastian Meise)
Prix du Jury « Un Certain Regard » – Festival de Cannes 2021
Beaucoup de sélections en festival, un prix prestigieux à Cannes, la presse à sa cause… Simple curiosité pour ce premier film sachant faire parler de lui. Et puis parce que Franz Rogowski.
Pitch : L’histoire de Hans Hoffmann. Il est gay et l’homosexualité, dans l’Allemagne d’après guerre, est illégale selon le paragraphe 175 du Code pénal. Mais il s’obstine à rechercher la liberté et l’amour même en prison…
Semaine du 16/02
- ❤️ After Blue (Paradis Sale) (Bertrand Mandico)
Prix FIPRESCI (compétition) – Festival de Locarno 2021
Bertrand Mandico, l’enfant terrible du cinéma français, est de retour. Quatre ans après le phénomène Les Garçons Sauvages, il revient en salles avec After Blue (Paradis Sale) où il continue d’explorer avec brio son univers queero-érotico-new wave. Une expérience de cinéma jouissive, se complaisant dans sa superficialité mais qui, paradoxalement, trouve une épure étonnante (et grandement appréciable) dans sa structure. Sur un faux-rythme constant, le film de Mandico se traverse comme un « western crépusculaire » (en gros, où il ne se passe rien), ses saillies visuelles et thématiques venant court-circuiter la linéarité du projet. Une ambivalence riche, touchante, et qui permet de se mettre autre chose sous la dent qu’une imagerie chiadée à l’extrême. Sous ce prisme, l’univers qu’il dépeint s’avère assez inégalable.
- ❤️ Nous (Alice Diop)
Prix du meilleur film section « Encounters » – Festival de Berlin 2021
Fin 2018, on pouvait bêtement voir clignoter « Un film français » dans les crédits d’introduction de Climax, le long-métrage de Gaspar Noé. Alors non. Un film français, c’est Nous d’Alice Diop. Bijou de documentaire, la réalisatrice vient y cartographier Paris et sa banlieue, bourgeoise ou populaire. Et c’est là toute la force de son dernier long-métrage : faire cohabiter par le montage son histoire personnelle avec deux univers qui ne se côtoient jamais (ou presque) mais qui témoignent de la diversité culturelle de la France d’aujourd’hui. Sans aucun jugement de valeur sur les personnes qu’elle rencontre, sans moraline, elle adopte une posture digne et remarquable qui n’est pas sans rappeler celle du grand Frederick Wiseman ou, plus proche de nous, celle du récent L’île au Trésor de Guillaume Brac. Pour sûr un des grands documentaires de cette année 2022.
(*) Rétrospective Kinuyo Tanaka
Le Japon a toujours été une terre de cinéma. Après-guerre, il a su briller sans pareille avec des réalisateurs comme Ozu, Mizoguchi, Kurosawa, Naruse, Oshima, Kobayashi… Que de grands noms du cinéma mais aussi… que des hommes. Petit clin d’œil donc à cette rétrospective autour de Kinuyo Tanaka, actrice phare de l’époque, mais aussi réalisatrice. Comme d’autres à travers le monde, elle n’aura malheureusement pas été reconnue à juste titre de son vivant. Nouvelle époque, nouvelle vision : l’occasion de découvrir un nouveau-vieux nom du cinéma japonais en sa personne.
Semaine du 23/02
- ❤️ Sous le ciel de Koutaïssi
(Alexandre Koberidze)
Prix FIPRESCI (compétition) – Festival de Berlin 2021
Candidat au film du mois numéro 3, bonsoir.
« Les grands films ressemblent à un secret partagé » dixit le NY Times dans la bande-annonce du film. Ma foi, quelle belle formule. Et en l’occurrence, qu’elle correspond bien à ce météore qu’est Sous le Ciel de Koutaïssi. Car, il faut se l’avouer, très peu de personnes verront ce film (la preuve, il n’est même pas distribué à l’Utopia…). Un film romantico-fantastique géorgien de 2h30, sélectionné à la Berlinale et prix de la critique internationale ? Sur le papier, plus élitiste : tu meurs. Et pourtant… Mais soit, ce joyau vivra dans un imaginaire très restreint. J’imagine qu’il faut également de ces œuvres qui savent innover, qui savent amener leur médium ailleurs et le faire avancer quitte à ce que ce soit en petit comité.
Si Introduction (voir plus haut) aurait pu être mon film de cœur de ce mois de février, le film d’Alexandre Koberidze aurait alors été celui de la raison. Car les superlatifs manquent pour décrire brièvement ce film sorti de nulle part ou presque. Extrêmement ludique et poétique, son essence rappelle assez clairement le cinéma moderne portugais. On pense à Miguel Gomes (Tabou, Les Mille et une nuits), à Manoel de Oliveira (L’étrange affaire Angelica, Val Abraham)… On pense à cette saudade décomplexée, lascive et lyrique, drôle et bouleversante, et qui emporte tout dans sa semi-légèreté. Le cinéaste subjugue par sa proposition en mêlant à son intrigue initiale d’idylle fantastique (que dire de cet « élément déclencheur » du film, merveille d’idée amenée comme un bonbon) toute une cartographie de cet endroit de Géorgie. On navigue ici dans une micro-cosmogonie où chaque élément périphérique vient s’incruster dans un imaginaire en continuel expansion. Transformations mystiques, saltimbanques, matchs de foot et chiens qui parlent… Tout un programme, éclaté et étrangement cohérent. D’une densité monstre, on prend ainsi un bonheur fou (et si rare) à parcourir un film bien plus grand qu’il pensait probablement l’être. Fable sur le papier, fabuleux à l’arrivée. Chef-d’œuvre !
- (*) Les poings desserrés (Kira Kovalenko)
Prix du Meilleur Film « Un Certain Regard » – Festival de Cannes 2021
Beaucoup d’attente autour de ce premier film acclamé par la presse et ayant glané la plus grande récompense de la section « Un Certain Regard » au dernier Festival de Cannes. Des fois, sans trop savoir pourquoi, on flaire des films (ou pas). Celui-ci en fait partie. Une de mes grosses attentes de cette année.
Pitch : Dans une ancienne ville minière en Ossétie du Nord, une jeune femme, Ada, tente d’échapper à la mainmise étouffante d’une famille qu’elle rejette autant qu’elle l’aime.
- (*) La légende du roi crabe (Alessio Rigo de Righi + Matteo Zoppis)
Quinzaine des Réalisateurs – Festival de Cannes 2021
Quelle bande-annonce. Une ambiance qui n’est pas sans rappeler cette pépite qu’est Zama de Lucrecia Martel. Si l’on rajoute à cela ses très bons échos à la Quinzaine des Réalisateurs au dernier festival cannois… Je prends.
Pitch : De nos jours, dans la campagne italienne, de vieux chasseurs se remémorent la légende de Luciano. Ivrogne errant dans un village isolé de Tuscie, Luciano s’oppose sans relâche à la tyrannie du Prince de la province. La rivalité grandissante entre les deux hommes, alimentée par les passions et la jalousie, pousse Luciano à commettre l’irréparable. Contraint à l’exil dans la lointaine Terre de Feu, à l’extrême sud de l’Argentine, l’infortuné criminel, entouré de chercheurs d’or cupides, se met en quête d’un mystérieux trésor enfoui qui pourrait bien être sa seule voie vers la rédemption. Mais sur ces terres arides, seules l’avidité et la folie prévalent.